- 05 février 2020
- En Els Jonckheere
- | 7 min. temps de lecture
- | Source: Foodprocess
L’industrie alimentaire
eST En pleine croissance
Nombreuses opportunités, mais aussi nombreux défis
Avec 1.569 entreprises, l’industrie alimentaire est aussi le plus grand employeur et investisseur industriel en Wallonie. Malgré les bons chiffres que le secteur peut présenter, il ne peut pas se reposer sur ses lauriers. Il faut penser à l’avenir. Et celui-ci pourrait bien se situer dans les filières locales: jouer sur la tendance vers une alimentation plus végétale avec de nouvelles matières premières. Par ailleurs, les entreprises devront relever de nombreux défis. Nous nous sommes entretenus avec Guy Paternoster, président de Fevia Wallonie et Wagralim, sur le présent et le futur de l’industrie alimentaire wallonne.
Qui est Guy Paternoster?
L’ir. Guy Paternoster (62) a étudié l’agriculture et la culture des plantes à la Faculté de Gembloux Agro Bio Tech/Ulg. Sa carrière a débuté dans l’enseignement, puis il est devenu conseiller technique. En 1985, il a débuté dans la Raffinerie Tirlementoise, où il a exercé plusieurs fonctions et est devenu membre du comité exécutif des matières premières et de la production. En 2013, il est devenu président de Fevia Wallonie et il a été élu président de Wagralim en 2019.
Pouvez-vous esquisser l’importance de l’industrie alimentaire wallonne?
“L’industrie alimentaire est d’une importance incroyable pour la Wallonie. Bien que la plupart des entreprises ne comptent pas cent collaborateurs, le secteur représente quand même près de 23.000 emplois. Ceci équivaut à 18,7% des emplois pourvus par l’industrie transformatrice en Wallonie. L’industrie alimentaire est ainsi notre principal employeur industriel. Et nous faisons sans cesse mieux: l’année dernière, l’emploi a progressé de 2% dans notre secteur. Une évolution positive qui résulte des nombreux investissements consentis par les entreprises, en combinaison avec les mesures gouvernementales visant à abaisser les coûts salariaux. Du reste, je désire relever que les producteurs alimentaires peuvent se targuer de représenter plus de 30% du total des investissements industriels en Wallonie. Le secteur joue résolument la carte de l’automatisation, de la digitalisation et de l’innovation!”
”Avec un chiffre d’affaires de 8,6 milliards d’euros, l’industrie alimentaire reste la principale branche industrielle de Wallonie”
Pourquoi investit-on autant?
“Celui qui ne suit pas l’évolution vers l’Industrie 4.0 et rate le train à grande vitesse de l’Internet of Things, est voué à l’échec. C’est valable pour toutes les entreprises industrielles en Wallonie et en Flandre. C’est la seule façon de continuer d’offrir un rapport qualité-prix concurrentiel qui nous permet de sécuriser notre atout dans le marché mondial. Malgré le fait que nous connaissons une petite baisse des exportations vers l’UE pour la première fois en six ans, nous continuons d’engranger des résultats particulièrement bons sur les destinations lointaines. Ainsi, la Wallonie a exporté en 2018 pas moins de 5,8% de plus vers les Etats-Unis et même 23,6% de plus vers la Chine. Les produits laitiers, les préparations à base de légumes et de fruits, et les boissons sont surtout très prisés dans ces contrées. Mais les produits céréaliers trouvent aussi le chemin de l’autre côté du globe.”

Vous affirmez que la plupart des acteurs dans l’industrie alimentaire wallonne sont de petites entreprises. N’éprouvent-elles pas particulièrement des difficultés avec les nouvelles technologies et tendances?
“Celui qui veut rester compétitif, doit évoluer avec son temps. Ou mieux encore: anticiper son temps. La digitalisation, l’automatisation, l’e-commerce, l’intelligence artificielle, … Cela demande effectivement beaucoup de nos producteurs alimentaires, sur le plan financier et organisationnel. Mais le RH est aussi confronté à des défis. En effet, de nombreuses nouvelles fonctions sont difficilement remplies. En tout cas, le secteur souffre déjà d’un manque de personnel. Chaque jour, cinq cents offres d’emploi ne sont pas remplies en moyenne. D’une part, ceci est lié à la pénurie sur le marché du travail. Le besoin de personnel technique qualifié croît à tous les niveaux: de l’électricien à l’ingénieur. Hélas, le flux entrant de tels profils est maintes fois inférieur au flux sortant causé par le vieillissement et ce, malgré les énormes campagnes de promotion pour l’enseignement STEM. D’autre part, les demandeurs d’emploi ne se rendent pas assez compte des possibilités de carrière qu’offre le secteur alimentaire. Aujourd’hui, les producteurs alimentaires n’ont pas seulement besoin d’ouvriers de production ou d’experts en alimentation!”
FEVIA VERSUS WAGRALIM
Fevia Wallonie est l’aile wallonne de Fevia, la fédération belge de l’industrie alimentaire. Elle représente 1.500 entreprises qui sont producteurs d’ingrédients, d’aliments semi-finis ou finis.
Wagralim est le pôle de compétitivité du secteur alimentaire wallon. Il compte 200 entreprises, 50 projets et plus de 190 nouveaux produits et développements de produit.
Quel rôle joue Fevia Wallonie sur ce plan?
“La Flandre et la Wallonie sont toutes deux aux portes de la même nouvelle ère industrielle. Nous faisons face aux mêmes défis. Il est donc logique que nous, en tant que fédération, laissions de côté les différences communautaires et unissions nos forces. Ceci a déjà conduit à de très belles initiatives pour donner au secteur un profil d’employeur plus attractif. Avec notre ‘employer brand’ Food At Work, nous misons p.ex. avec notre fonds sectoriel Alimento sur nos atouts en tant qu’employeur. Il y a aussi Food Tech Talent, qui invite les écoles et les jeunes à visiter les entreprises alimentaires, afin de découvrir les nombreux métiers qu’elles offrent. Nous avons chaque année les Food At Work Days: une série d’initiatives pour motiver les jeunes et les demandeurs d’emploi à choisir une carrière dans l’industrie alimentaire. Un élément important en est les Food At Work Student Awards: des concours d’innovation pour les jeunes de l’enseignement secondaire, supérieur et universitaire en Flandre, à Bruxelles et en Wallonie. Nous communiquons les gagnants pendant Food Forward, un événement que nous axons sur les tendances du futur.”
Et quid des autres défis?
“Pour les défis industriels, technologies et liés à l’exportation, nous collaborons avec les pôles d’innovation Wagralim en Wallonie et Flanders’ FOOD en Flandre. Nous organisons des projets, séminaires et événements pour mettre nos entreprises en contact l’une avec l’autre, avec des instituts de connaissances et bien d’autres parties prenantes du secteur alimentaire. Nous continuons de remplir notre rôle de délégué vis-à-vis des pouvoirs publics. Nous tendons la main aux décideurs pour renforcer le flux entrant de talents vers notre secteur, e.a. en misant sur l’apprentissage en alternance et en promouvant les formations STEM. Nous cherchons aussi à stimuler les parties prenantes à réfléchir ensemble sur la croissance durable du secteur. Cela résulte dans des actions concrètes. Songez à l’initiative D’Avenir, par laquelle tous les acteurs de la chaîne alimentaire – de la fourche à la fourchette – et les décideurs s’efforcent ensemble de mettre en place un système alimentaire globalement durable. Un autre exemple est la Convention Alimentation Equilibrée, que nous avons signée en 2016 avec la ministre de la Santé publique Maggie De Block. Ceci est une bien meilleure solution que des taxes supplémentaires sur les aliments sucrés et gras! Nous devrons suivre la même voie en matière d’emballages. Le secteur des aliments ne peut s’en passer, nous devons donc évoluer vers une politique d’emballage durable avec des solutions qui restent abordables pour tous.”

Existe-t-il encore d'autres développements qui compliquent la croissance du secteur?
“Avec un chiffre d'affaires de 8,6 milliards d'euros, les fabricants de denrées alimentaires restent la branche industrielle la plus importante en Wallonie. Hélas, nous avons dû noter pour la première fois depuis longtemps une petite baisse des ventes de 1,7% en 2018. Ceci, malgré les grands investissements dans les nouvelles technologies et l'efficacité. Malheureusement, ce recul résulte d'obstacles que nous ne pouvons pas contrôler, comme les accises, taxes et prélèvements élevés qui renchérissent les produits en Belgique par rapport aux pays voisins. La conséquence est que de plus en plus de compatriotes achètent des aliments et des boissons outre-frontière, surtout en France. L'an dernier, les achats frontaliers dans ce pays totalisaient déjà pas moins de 273 millions d'euros. Un vent de protectionnisme souffle de tous côtés. Nous subissons de grandes conséquences de l'étiquetage d'origine obligatoire en France, des mesures antidumping sud-américaines pour nos pommes de terre, le blocage des exportations à l'occasion de la peste porcine africaine, … Et en cette tendance ne s'arrête pas. Ainsi, des tarifs américains sont appliqués sur certains produits alimentaires belges depuis octobre, dans le contexte de l'affaire Airbus. Ceci freinera aussi nos exportations. Et nous ne parlons pas des dommages qu'entraînera le Brexit."
"Nous voulons stimuler le secteur agricole a cultiver de nouvelles matieres premieres, surtout des pois, du quinoa et de l'epeautre"
L'histoire de l'industrie alimentaire wallonne est-elle purement affaire de sauvegarde?
“Certainement pas, au contraire! Nous sommes vraiment convaincus que la plupart des entreprises alimentaires wallonnes ont encore pas mal de perspectives de croissance. De plus, il reste de la place pour des producteurs supplémentaires. Les possibilités sont légion, surtout sur le plan des filières locales à haute valeur ajouté. D'après nous, c'est là que réside une importante perspective d'avenir pour le développement durable de notre secteur. En premier lieu, nous adressons un appel aux agriculteurs, qui sont les fournisseurs de matières premières de nos entreprises. Il y a un solide lien entre l'agriculture et l'étape de transformation dans la filière. Saviez-vous que 60% des produits agricoles qu'utilise notre industrie alimentaire, sont d'origine belge? Les défis qui menacent le secteur alimentaire, affectent aussi l'agriculture. D'où notre volonté de stimuler le monde agricole à cultiver de nouvelles matières premières comme par exemple des pois, du quinoa et de l'épeautre. Ceci ouvra sans aucun doute des portes aux producteurs existants et nouveaux, afin de réagir à la demande croissante d'alimentation végétarienne et végane. Le secteur joue ici de son atout novateur, mais se profile en outre comme un partenaire qui offre des réponses durables dans la problématique écologique."